Mary Wells, publicitaire de haut-vol
Harding Lawrence, de Braniff Airways, appelle Mary Wells pour relancer sa compagnie aérienne.

"Harding Lawrence sur la ligne deux."
La voix étouffée de la secrétaire grésillait encore dans l'interphone quand Mary Wells attrapait déjà le combiné. Elle se redressa sur sa chaise et lissa son tailleur, comme si son interlocuteur pouvait la voir.
Harding Lawrence.
Ce nom ne lui était jamais vraiment sorti de l'esprit. Ils s’étaient croisés brièvement, chez Continental Airlines. À l’époque, Mary devait signer une campagne. Le projet était tombé à l'eau. Mais le souvenir de cette homme lui était resté.
Et en ce mois d'avril 1965, il la rappelait.
Il venait de quitter Continental pour prendre la direction d'une autre compagnie aérienne, Braniff Airways. Et il avait pensé à elle, directement. Il fallait croire qu'elle aussi, elle l'avait marqué.
M. Lawrence avait un problème : Braniff avait tout d'une grande compagnie aérienne, excepté la réputation. Alors les Américains préfèrent voler avec Pan Am, United ou American Airlines.
"Écoute, Mary, j'ai besoin d'une très bonne idée pour cette compagnie aérienne. Il faut absolument que Braniff fasse la une des journaux."
Des compagnies aériennes sans intérêt
En tant que publicitaire chez Jack Tinker & Partners, Mary avait bien assez voyagé pour s'être lassée du style métallique, presque militaire, des compagnies aériennes. "Pourquoi les hôtesses de l'air sont-elles habillées comme des infirmières ou des copilotes ?", disait-elle. "Comme si elles allaient faire atterrir l'avion en cas d'infarctus du commandant de bord !"
En raccrochant, elle regarda, pensive, les rayons du soleil d'avril se perdre dans la moquette de son bureau. Pour elle, les compagnies aériennes ne proposaient rien d'amusant. Nulle part où reposer ses yeux. Pas de couleurs, donc pas de surprise.

Et parmi toutes les compagnies, Braniff était sans doute la plus ennuyeuse de toutes. Un fuselage métallique nu. Par endroits, une livrée bien américaine comme on l'aime : rouge, blanc, bleu. Et pour finir, le nom de l'entreprise. C'était tout. Rien de bien mirobolant, donc.
En visitant l'aéroport de Dallas, où se trouvait le siège de Braniff, Mary trouva les terminaux si tristes qu'elle les compara à un camp de prisonniers.
Et c'est là que l'idée lui vint : pour s'extraire des griffes du passé, Braniff devait épouser l'esprit des années soixante. La compagnie devait incarner une liberté rebelle, pleine de vitalité et d'excentricité..
Mais comment créer quelque chose d'aussi novateur, dans un secteur aussi conservateur ?
À la recherche de deux designers
Pour donner vie à cette vision, il lui fallait au moins deux créateurs. Un pour les uniformes et les avions. L'autre pour la décoration intérieure.
Le premier choix était simple : Mary savait qu'Emilio Pucci, le styliste italien aux imprimés psychédéliques, serait parfait. Et qu'il adorerait ce genre de défi.
Restait à trouver l'autre.
Au Time-Life Building, là où travaillait Mary, il y avait un restaurant mexicain qu'elle appréciait, La Fonda Del Sol. Son design était explosif de couleurs, et très moderne, avec ses chaises en aluminium et en fibre de verre. À chaque déjeuner, Mary observait les détails du lieu, fascinée.
Le décorateur de ce petit bijou s'appelait Alexander Girard.

Mary ne le connaissait pas spécialement, mais elle savait que c'était l'homme qu'il lui fallait. Alors, accompagnée de son directeur artistique, elle sauta dans un avion pour le Nouveau-Mexique, là où Alexander vivait et travaillait.
Et elle ne s'était pas trompée. Dans son studio, elle découvrit des centaines de motifs, de palettes de couleurs, d'idées vibrantes, qui collaient parfaitement avec sa vision pour Braniff.
Comme si le destin s'en était mêlé, Alexander connaissait très bien Emilio, et les deux s'estimaient depuis longtemps. À partir de ce moment, signer le contrat n'a rien été de plus qu'une formalité.
Une identité de marque complètement revisitée
Mary Wells, en bonne reine des grands coups de communication, ne tarda pas à lancer une campagne publicitaire indiquant qu'Alexander Girard allait redessiner les avions Braniff.
Et quelle fut la première chose que fit Alexander ? Jeter les designs existants, et recommencer de zéro.
Son coup de crayon se fiait à deux principes : créer de la profondeur, pour que l’œil ne s'ennuie jamais ; et simplifier au maximum, pour mieux faire ressortir l'essence des formes.
En quelques mois, il avait imaginé plus de 17 000 modifications à apporter aux avions et aux terminaux de Braniff. Chaque appareil arborait désormais une couleur vive, du nez à la queue : ocre, orange, turquoise... À l'intérieur, les cabines accueillaient des sièges signés Hermann Miller, spécialement conçus pour le projet.
De son côté, Emilio Pucci rhabillait les hôtesses de l'air. Ses uniformes, aux coupes futuristes dignes de l'ère du Space Age, affichaient des imprimés vibrants. Chaque tenue était pensée comme une superposition de couches : à chaque changement de température, lorsque les hôtesses enlevaient une couche, une nouvelle couleur éclatante se révélait.

La compagnie aérienne était devenue une explosion de couleurs.
Les lounges Braniff ne donnaient plus l'impression d'être un lieu de passage. On n'avait plus envie de les quitter. Et le salon de la première classe allait encore plus loin : tables en palissandre, tissus aux motifs uniques pour chaque siège, le tout monté sur des pieds fuselés en aluminum, comme ceux de la Fonda Del Sol.
Les campagnes publicitaires
Durant l'été 1965, quelques mois avant l'annonce officielle du redesign, Mary Wells eut une idée audacieuse, et fit photographier l'un des premiers avions fraîchement repeints. Plusieurs employés de Braniff étaient perchés sur son aile.

En scrutant l'image, on distinguait déjà les nouveaux uniformes et quelques éléments du mobilier intérieur. C'était une bande-annonce avant l'heure ; un teaser savamment orchestré, glissé dans les magazines comme un simple cliché, sans plus d'informations.
Le concept visuel était si fort qu'il allait devenir le cœur d'une des campagnes les plus marquantes de Wells :
"The end of the plain plane."

L'idée était tellement efficace que le chiffre d'affaires de Braniff a grimpé de 80% en moins d'un an.
L'héritage
Si cette idée est unique en son genre, c'est parce que Mary Wells a répondu au problème de manière complètement inattendue : plutôt que de capitaliser sur les points forts existants de Braniff, elle leur a proposé un changement complet d'expérience client, sur lequel ses campagnes publicitaires se sont ensuite appuyé.
Mary Wells n'hésitait pas à tout remettre en cause pour concevoir des publicités efficaces, quitte à repenser le produit lui-même, et jouer sur le long terme.
Avec cette campagne, elle a démontré que le branding fait partie intégrante de la publicité. Encore aujourd'hui, on oublie trop souvent qu'une image de marque n'est pas figée. Pourtant, parfois, mieux vaut repeindre son avion de la tête aux pieds.
Et si c’était votre tour ?
Parfois, il faut savoir repeindre ses avions : Fine Fleur vous aide à repenser votre image de marque, de fond en comble. Vous allez être surpris de voir à quel point le vintage peut être moderne.